Le tisserand. Ar guyader. Le tessier.

 

 

Ils se comptaient par milliers en Bretagne autrefois, car notre région était très grande productrice de toiles de lin et de chanvre:

Olonnes de Pouldavid et Locronan

Crées du Léon

Bretagnes de la région Quintin- Uzel- Moncontour- Loudéac

Noyales de Châteaugiron

Le tisserand travaille seul sur son métier pendant toute la journée, ce qui agace les jeunes filles:

Pa barfanted din a zimezi

Ne barfanted ket doez eur guyader din

Ne celin ober va cujun

Gant treiz ar stern pe ar vrujun

Quand vous me parlez de mariage

Ne me parlez pas d'un tisserand

Je ne pourrai pas faire ma cuisine

A cause du bruit que fait son métier

De plus; on les accusait de n'être pas sérieux dans leur travail. Un chanson du pays de Loudéac (22) dit que:

Les tessiers sont pires que des évêques

Car du lundi ils font une fête

Le mardi ils vont voir les fillettes

Le mercredi ils graissent des galettes

Le jeudi ils ont mal à la tête

Le vendredi ils lancent la navette

Le samedi la toile o n'est point faite...

La réalité était beaucoup moins drôle...

Il y avait deux catégories de tisserands. Les premiers travaillaient pour la clientèle locale, ils recevaient le fil de leurs clients. Ce fil avait été préparé dans les fermes par les femmes de la maison. Le tisserand le pesait et annonçait le métrage de toile qu'il en tirerait. Son ouvrage terminé, il rapportait la pièce et recevait son salaire en argent ou en nature (grain, pommes de terre...) la toile fabriquée par leurs soins était souvent assez grossière. Elle servait pour fabriquer des vêtements de "tous les jours". Ils produisaient aussi une toile mi-laine, mi-lin appelée berlinge, garao... très solide et très prisée pour les habits de travail.

Les seconds travaillaient pour l'exportation. Ils allaient acheter leur fil au marché, ou plus rarement le négociant (le toileux) la leur fournissait. Des règlements très précis indiquaient la largeur des toiles (la  laize) et le nombre de fils de chaîne. Plus le fil était fin, plus la toile l'était, et c'est ce qui faisait sa valeur. Pour les bretagnes superfines il fallait 2800  fils de chaîne pour 92 centimètres de largeur.

Quand la pièce était assez longue, le tisserand la coupait et allait la vendre au marché où elle devait recevoir une marque qui garantissait sa qualité. Ces toiles étaient achetées par les toileux qui, ensuite, se chargeaient de les exporter. Les crées partaient essentiellement vers l'Angleterre, les bretagnes vers l'Espagne puis l'Amérique du sud.

Comment travaillait le tisserand?

Le fil devait être mis en bobines, puis il fallait ourdir, c'est à dire préparer des écheveaux pour enrouler le fil de chaîne sur le métier (sur l'ensouple, rouleau horizontal à l'arrière du métier).

Puis vient l'enfilage: on passe les fils dans les lisses et dans le peigne. Après, c'est le nouage: il faut raccorder les fils à l'ancienne chaîne. Et c'est long: il peut y avoir plusieurs milliers de fils.

Et c'est là que le tissage commence. Le tisserand lance la navette dans un espace créé par les marches (les pédales). Le fil de trame va ainsi s'entrecroiser alternativement avec les fils pairs et impairs de la chaîne. De temps à autre il passe du châs sur les fils afin qu'ils ne peluchent pas et qu'ils ne cassent pas. Le châs est une bouillie liquide obtenue à partir de farine. Ce métier est le plus souvent masculin, même si on trouvait des femmes le pratiquant (dans le Léon surtout).

Les journées étaient longues, du lever au coucher du soleil, dans de petites maisons où l'essentiel de la place était réservée au métier, et où, l'hiver la lumière n'était donnée que par une maigre chandelle de résine...

Mais les tisserands aimaient leur métier et nombre d'entre eux ont préféré vivre dans la misère plutôt que lâcher la navette...

Actuellement, les métiers (ar stern) sont devenus très rares, relégués dans les musées, et seuls quelques artisans pratiquent encore cette profession.

En gallo, l'ensemble de la charpente du métier s'appelait la chapelle. Les chansons qu'y chantaient les tisserands étaient rarement des cantiques mais ils y ont créé, à leur époque, les plus belles toiles du monde.

Ar gwiader wer e stern

Evel an diaoul en infern

Oc'h ober tik-tak, tik-tak

O tennan hag o lakat

Le tisserand à son métier

Comme le diable en enfer

Ne cesse de faire tic-tac, tic-tac

D'en tirer et d'en remettre.